Un document de la Haute Autorité de santé fixe de nouvelles limites afin d’homogénéiser les pratiques. Certains hôpitaux enfermeraient les patients par manque d’encadrement.
Un patient violent hospitalisé en psychiatrie et susceptible d’être dangereux pour lui-même ou pour les autres ne devrait pas êtreenfermé plus de douze heures et attaché plus de six, même si des prolongations limitées sont possibles. C’est ce que préconise la Haute Autorité de santé (HAS), lundi 20 mars, dans un document qui fixe pour la première fois depuis 1998 « des règles claires et un cadre explicite » en matière de recours à l’isolement et à la contention, soit l’utilisation de liens, attaches ou autres camisoles. Des mesures de « dernier recours », selon elle.
Objectif de ces recommandations : homogénéiser la façon dont les soignants ont recours à ces pratiques – censées ne concerner que les personnes hospitalisées en soins sans consentement –, mais surtout « en réduire le nombre » et mettre fin aux abus. Si aucun chiffre ne permet aujourd’hui de mesurer avec précision le phénomène, le contrôleur général des lieux de privation de liberté relevait, en mai 2016, que l’isolement et la contention étaient en « recrudescence depuis une vingtaine d’années » dans les hôpitaux psychiatriques. L’autorité indépendante expliquait notamment la « banalisation » de ces pratiques par un manque d’effectifs ou la présence insuffisante des médecins. « La manière dont ces contraintes physiques sont mises en œuvre est souvent humiliante, indigne, parfois dangereuse », dénonçait-elle.
Quelques semaines plus tôt, l’institution avait alerté en urgence sur les « violations graves des droits fondamentaux » des patients hospitalisés au Centre psychothérapique de l’Ain, en périphérie de Bourg-en-Bresse. Plus de trente-cinq chambres d’isolement étaient alors en moyenne occupées chaque jour dans cet établissement psychiatrique. Le recours à la contention y était généralisé, avec jusqu’à trente-cinq patients attachés à leur lit. Nombre d’entre eux étaient même enfermés dans leur chambre et attachés à leur lit ou à leur fauteuil, jusqu’à vingt-quatre heures par jour, dont certains depuis des mois, voire des années.
Document de référence
Une situation hors norme qui a contribué à mettre en lumière le problème. « Les recommandations de la HAS vont remettre en question des modes de fonctionnement », se félicite Béatrice Borrel, présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), l’association qui avait permis d’alerter sur la situation à Bourg-en Bresse. « Même si ce n’est pas quelque chose de généralisé, nous continuons d’avoir des remontées de cas difficiles, comme des malades mis en isolement pendant plusieurs semaines », témoigne-t-elle.
En septembre 2015, un collectif de psychiatres (le Collectif des 39) avait lancé une pétition appelant les parlementaires à proscrire la contention physique en milieu psychiatrique, des pratiques « d’un autre âge », selon eux. « Les patients qui les ont subies en témoignent régulièrement, elles produisent un traumatisme à jamais ancré dans leur chair et dans leur cœur, faisaient-ils valoir. Qui d’entre nous supporterait de voir son enfant, ou son parent proche, ou un ami, en grande souffrance, attaché, ligoté, sanglé ? Qui accepterait de s’entendre dire que c’est pour le bien de cette personne chère ? »
Si elles ne s’imposent pas aux soignants comme une norme, les recommandations de la HAS se présentent comme un document de référence et un mode d’emploi très détaillé. Si elles fixent la limite d’isolement à douze heures, et celle de l’attachement à six, elles prévoient toutefois que ces durées soient renouvelables et qu’au-delà de quarante-huit heures et vingt-quatre heures, de telles mesures soient exceptionnelles. Le document préconise en outre une surveillance médicale « accrue » des patients avec « au minimum » deux visites médicales toutes les vingt-quatre heures. L’isolement doit se faire dans un lieu dédié et équipé, pas dans la chambre du patient. Quant à la contention, elle ne peut se faire qu’en position allongée, sur un lit adapté, chaque membre maintenu par une attache verrouillée.
Registre précis
La HAS estime également que « toute mesure programmée de contention est à proscrire » et que la simple mention faite préalablement pour l’équipe de soignant par le psychiatre d’un recours « si besoin » ne peut s’appliquer en son absence. L’objectif de ces mesures « ne peut en aucun cas être de punir, humilier ou établir une domination sur des patients ou de résoudre un problème organisationnel comme un manque de personnel », souligne enfin la Haute Autorité, en réponse aux remarques du contrôleur général, qui, dans son rapport de 2016, relevait que certains services allaient jusqu’à « établir un barème en jours d’isolement en fonction de la transgression des règles fixées par le règlement intérieur ou le cadre de soins. »
« “Toute violence ne justifie pas la contention”, dit en substance la HAS », résume le député PS Denys Robiliard. Coauteur d’un rapport sur les hospitalisations sans consentement, le parlementaire se félicite qu’après la loi de santé promulguée en janvier 2016, une « autorité médicale » comme la HAS vienne à son tour dire que la contention et l’isolement doivent être des mesures de « derniers recours ». « Mais arriver à s’en passer, comme le font déjà certains services, ne se fera pas d’un claquement de doigts », dit-il.
D’ici quinze jours, le ministère de la santé devrait publier une circulaire rappelant à tous les établissements psychiatriques qu’ils sont tenus, en vertu de la loi santé promulguée en janvier 2016, de tenir un registre précis de leurs recours à l’isolement et à la contention. Une obligation qui permettra de mieux saisir l’ampleur du phénomène et, estime M. Robiliard, « devrait obliger les équipes à faire une introspection annuelle sur le sujet ».